Louis XVI étant alors Roi de France [1], le curé Louis Metteaud, en poste depuis 1759, décéda le 29 juillet 1784, à 70 ans. Il fut enterré dans le cimetière des Cerqueux, près de la croix hosannière.
Il fut remplacé dès le 8 août 1784 par André-Gervais Rabier, originaire de Passavant sur Layon. Ce dernier, issu d’une famille de taillandier et de maréchal-ferrant basée à Passavant et Saint-Hilaire du bois, fit venir aux Cerqueux une partie de sa parentèle, entre autres Marc[2], qui s’établit comme maréchal aux Cerqueux. Il combattit dans les armées vendéennes comme soldat-canonnier et fit toutes les campagnes. En 1825 on dira de lui : « Toute sa famille a été sacrifiée par les troupes républicaines, notamment quatre prêtres, ses oncles et cousins-germains ». Il sera par la suite maire de la commune de 1826 à 1835.
La Révolution, à ses débuts, est dans l’ensemble assez bien accueillie dans les Mauges. Il en fût de même aux Cerqueux. A travers les cahiers de doléances les habitants se montrèrent même progressistes, réclamant notamment avec
insistance la suppression de la gabelle et des mesures pour aider les pauvres. En effet, « un tiers des habitants vivaient, si c’est vivre, de mendicité ; l’autre tiers de gêne ou de mendicité ». [3] Il faut savoir qu’à cette époque le cinquième des terres appartenait à l’église, aux Cerqueux comme dans les paroisses avoisinantes. (Yzernay, Coron, La Tourlandry, Les Echaubrognes…)
Mais tout va basculer autour de la question religieuse à partir de 1790. Le remplacement des prêtres réfractaires par des prêtres ayant prononcé le serment à la Constitution civile du clergé entraîne un mécontentement patent de la population qui atteindra son paroxysme avec le soulèvement de 1793.
Rappelons tout d’abord que le 24 août 1790 le Roi Louis XVI promulgue le décret qui devient la Constitution civile du clergé :
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Les diocèses et paroisses sont profondément remaniés, sur la base d’un diocèse par département : de cent trente, leur nombre est réduit à quatre-vingt-trois. Les Cerqueux passent ainsi du diocèse de La Rochelle à celui d’Angers.
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Les évêques sont élus par l’assemblée des électeurs du département et les curés par celle des électeurs du district, que les électeurs soient de religion catholique ou non.
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Les ecclésiastiques – évêques et curés – perçoivent un traitement de l’État.
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Avant leur sacre, les évêques doivent prêter serment. Les curés devront faire de même, un dimanche, avant la grand-messe. Le serment était le suivant : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse (ou du diocèse) qui m’est confiée, d’être fidèle à la nation, à la loi, au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. »
C’est cette prestation de serment qui « passe mal ». Le 7 janvier 1791 doivent commencer les prestations de serment dans les provinces. Elles sont échelonnées tous les dimanches de janvier et février 1791, à des dates différentes selon les diocèses. La quasi-totalité des évêques, sauf quatre, et la moitié des curés, refusent alors de prêter serment.
Dans les Mauges, il n’y eut que huit curés à céder aux injonctions de l’Assemblée. Les vicaires et les religieux suivirent l’exemple des curés et il en fut de même dans le reste du Bocage. Aux Cerqueux, le curé André-Gervais Rabier, ainsi que son vicaire, Jean-Baptiste Chabiran, refusèrent de prêter serment.
Le pape Pie VI demande aux membres du clergé n’ayant pas encore prêté serment de ne pas le faire, et à ceux qui avaient déjà prêté serment de se rétracter dans l’espace de quarante jours. Les élections épiscopales et paroissiales sont déclarées nulles et les consécrations d’évêques sacrilèges. Malgré les nombreuses rétractations de prêtres assermentés au sein de l’Église de France, une situation de schisme divise le clergé en prêtres constitutionnels[4], désignés comme « intrus », et prêtres insermentés, désignés comme « réfractaires ». La rupture entre la Révolution et l’Église catholique devient inévitable.
Pour remplacer les prêtres réfractaires, il faudra élire de nouveaux prêtres : quatre-vingts évêques sont alors élus et environ vingt mille prêtres sont remplacés.
Face à cette situation,certains tentent de prôner retenue et sagesse. C’est dans cet esprit que, le 8 novembre 1791, les habitants des Cerqueux adressent à l’Assemblée cette pétition mesurée mais néammoins motivée :
« Les citoyens soussignés, désirant prévenir le malheur qui les menace, s’adressent à vous avec la plus grande confiance… Leur vœu est de conserver la religion et la foi de leurs pères… L’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme porte que nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses. Cependant, nous voyons tous les jours violer, chez nos voisins, ce droit naturel si solennellement reconnu par la Constitution. On veut les forcer de recourir pour les sacrements à des prêtres qui, selon eux, sont sans pouvoirs et avec lesquels ils croient, dans les choses saintes et sacrées, ne pouvoir communiquer sans crime. On veut les séparer de ceux qui, selon leurs opinions religieuses, sont seuls envoyés de Dieu, les seuls revêtus de son autorité, pour bénir leurs mariages et délier leurs consciences. Les prêtres assermentés exercent, à cet égard, le plus affreux despotisme. Les citoyens n’ont plus la liberté d’appeler auprès d’eux aucun autre prêtre. On leur refuse, jusqu’au lit de mort, cette consolation, avec la plus grande opiniâtreté. Les cris, les larmes et le désespoir sont leurs seules ressources dans ces moments pénibles. Si un prêtre non assermenté cédait à la religion et à l’humanité, il serait sur le champ dénoncé aux tribunaux et poursuivi comme perturbateur du repos public. Les mariages sont devenus presque impraticables. On voit un grand nombre de personnes faire deux ou trois lieues pour entendre la messe. Ils intéressent leur santé, abandonnent leurs femmes, leurs enfants, leurs propriétés à la merci des brigands et des scélérats qui, dans notre voisinage, ont déjà commis des horreurs.
Telles sont les calamités des paroisses voisines, telles sont celles qui menacent les suppliants, si on leur enlève le bon et respectable curé qui les gouverne.
Ils fuiront celui qui le remplacera sans s’opposer à son installation par la force et par la violence : leur véritable pasteur leur en a fait un devoir…. Notre religion et nos prêtres sont certainement nos plus chères propriétés, et pourquoi voudrait-on nous en priver ? Parce qu’ils refusent le serment ? Mais la loi les laisse absolument libres à cet égard… En vain a-t-on inventé mille calomnies contre eux… Qu’on les juge sans préjugé et sans partialité, on verra clairement que la patrie n’a jamais possédé, dans son sein, des citoyens plus soumis aux lois et plus zélés pour son bonheur.
D’après ces considérations, les habitants de notre communauté vous supplient conformément à l’article 7 de la Constitution française, de leur accorder la liberté du culte, un temple et des ministres conformément à leurs croyances. Alors la paix règnera parmi eux; ils béniront ceux qui voudront la leur conserver, et la patrie trouvera en eux des citoyens tranquilles et soumis à leurs devoirs.
Arrêté en la salle commune de la paroisse des Cerqueux de Maulévrier, département de Maine et Loire, le huitième jour de novembre 1791″
Jean Penau, procureur de la commune, P. Deniau municipau (!) Jean-Joseph Brosseau, maire, Basile Brégeon, officier, Pierre Caillé, Greffier. Suivent 37 signatures, parmi lesquelles figurent Jacques Deniau et M. Deniau. [4A]
Comme on le lit, cette supplique, signée des représentants de la commune, reste modérée. On y constate en quelle haute estime ils tiennent le curé Rabier et combien celui-ci prêche le calme et la modération vis-à-vis d’un « intrus » désigné pour le remplacer. On verra plus loin que ces consignes ne sont que très mal suivies.
Le 29 novembre 1791, l’Assemblée législative vote un décret indiquant que tout prêtre réfractaire serait traité en suspect et soumis à une surveillance particulière et qu’en outre il pouvait être éloigné de son domicile si des troubles s’y produisaient à proximité. Quelques jours auparavant (23 novembre), il avait été décrété que les églises seraient réservées uniquement au clergé constitutionnel.Dès lors, les prêtres réfractaires furent considérés comme rebelles : on leur signifia de donner leur démission et d’abandonner immédiatement leur poste. Mais comme ils ne pouvaient quitter leurs fonctions sacerdotales que sur l’ordre du Pape, leur chef supérieur spirituel, ils regardèrent cette injonction comme non avenue, et déclarèrent qu’ils ne céderaient qu’à la violence.
Je place ici chronologiquement une anecdote qui, si elle n’a rien à voir avec la constitution civile du clergé, touche malgré tout l’église et la religion puisqu’elle concerne la croix hosannière du cimetière. Pierre Devaud, au-delà de son « Livre de la gère » retraçant son parcours pendant les guerres de Vendée, avait l’habitude de prendre des notes sur les petits et grands évènements de sa vie.
A la date du 11 décembre 1791, il écrit :
« Le 11 décembre 1791 fut le grand vent qui abattit 30 arbres à Boisdon, déchevronna la grange et abattit les (ardoises ?) de la maison. Il emportait des tuiles à 400 pas de loin, abattit les paillers, emporta de la paille jusqu’à la Gannerie et amène une charrette de (… ?…). Cela fit grand dommage à Boisdon, à la Sévrie et à la Petite Troche. Point ailleurs. Cela cassa la croix hosannière du cimetière des Cerqueux. »
Dans les paroisses rurales telles les Cerqueux, l’expulsion des prêtres réfractaires au serment n’eut lieu que quelques mois plus tard, parce qu’on craignait d’exciter des protestations trop générales. On laissa donc quelques prêtres exercer librement leurs fonctions jusqu’au mois de juin, mais peu à peu on finit par les chasser tous. Aux Cerqueux le curé Rabier et le vicaire Chabiran continuèrent à exercer à peu près normalement jusqu’à ce que se présente le prêtre assermenté « intrus ».
Comme dans la plupart des paroisses des Mauges, le jour de l’installation donne lieu à des agitations parfois violentes. Les villageois n’acceptent pas de voir remplacer leur ancien curé par un étranger, un « intrus ». La population locale n’accepte pas de voir introduit dans la paroisse un ecclésiastique qui, du jour au lendemain, déplace le prêtre réfractaire présent, le plus souvent, depuis de nombreuses années.
Dans les Mauges, les curés constitutionnels vont éprouver bien des difficultés à célébrer le premier office dans leur nouvelle paroisse. La tâche est d’autant plus délicate que pour certains, cette messe constitue leur première expérience en tant que curé.
La mise en cause par les prêtres réfractaires de la validité des sacrements administrés par les curés constitutionnels déplace la lutte sur le plan spirituel et déclenche une véritable bataille des sacrements. En premier lieu, les paroissiens des Mauges ne font pas baptiser leurs enfants par le prêtre assermenté du village. Ils ont recours aux services des réfractaires de leur paroisse ou bien de bourgs voisins. A ce titre, au mois d’avril 1792, le curé Rabier et le vicaire Chabiran baptisent aux Cerqueux trois enfants de Somloire, avec « l’accord des officiers municipaux de cette commune ». Le curé Poupard de Somloire, réfractaire, était alors incarcéré au couvent des Carmes à Angers et remplacé par un prêtre constitutionnel. Cet accord des officiers municipaux prouve bien la collusion, au moins passive, qui existait entre la population, ses représentants et les curés réfractaires.
Le curé Rabier signa son dernier acte le 11 avril 1792 et quitta la cure. En effet, quand les prêtres étaient prévenus à temps de leur destitution par des voies officielles ils faisaient en sorte de s’esquiver sans bruit, afin d’empêcher toute agitation de la part de leurs paroissiens.
Les prêtres assermentés, inquiets des comportements agressifs de leurs futurs paroissiens, décident de s’armer pour assurer eux-mêmes leur sécurité. Toutefois, les armes qu’ils portent inquiètent les habitants mais ne leur imposent pas le respect.
Le curé Duret, assermenté, se présente aux Cerqueux le 6 mai 1792 pour prendre possession de l’église et de la cure.
Voir : L’accueil du curé jureur en 1792 pour connaître son récit
Le vicaire Jean-Baptiste Chabiran, quand à lui, fût arrêté par les autorités au cours de l’été 1792 et emprisonné au couvent des Carmes à Angers, avec les autres prêtres réfractaires. Il reviendra dans la paroisse à la fin du mois d’avril 1793, époque où la paroisse était comprise dans le territoire insurgé libéré de toute présence révolutionnaire. La nouvelle de son retour dû se répandre très vite car il baptise 10 enfants en 3 jours (le 30 avril, 1er et 2 mai) puis à nouveau 6 autres entre le 6 et le 14 mai, dont 2 enfants de Saint-Aubin (Le Pas-Chaillou et la Goinière). Il officialise aussi sur les registres 3 sépultures dont celle du curé réfractaire de la Salle de Vihiers, Augustin Charles Monsailler, 54 ans, décédé à La Sévrie le 1er avril.
Il signe son dernier acte le 21 septembre 1793 (Baptême d’une enfant de Moulins). On apprit ensuite qu’il fut rencontré à l’automne 1793 dans la forêt de Vezins par une patrouille de soldats qui « L’ayant reconnu pour un prêtre, l’y massacrèrent à l’instant » [5]
Les prêtres réfractaires des paroisses voisines éprouvent les mêmes difficultés. Ainsi, aux Aubiers, à partir du printemps 1792, il n’y a plus de baptêmes dans l’église. Le curé-prieur Pisseau, [6] réfractaire caché, se contente de recopier sur les registres les billets de baptêmes que lui remet le curé de Saint-Clémentin, les habitants des Aubiers allant là-bas plus facilement faire baptiser leurs nouveau-nés.
Le 10 juillet 1792, il note : « les problèmes de schisme et de division continuant à désoler ma paroisse » [7]
En septembre 1792, les baptêmes reprennent aux Aubiers. On y baptise même des enfants d’Etusson, non sans que la sage-femme et les parrains et marraines ne soient obligés de certifier « qu’il n’y avait aucun prêtre en la paroisse d’Etusson » [8]
Après son départ, le curé Rabier se réfugia dans les demeures de ses meilleurs paroissiens, et continua, sans éclat, tantôt dans une chambre, tantôt dans un grenier, à célébrer des messes et à administrer les autres sacrements. (Voir à ce sujet le fait divers de la Trévellière) Les fidèles couraient clandestinement assister à ses offices : ils désertaient l’église et faisaient entendre des récriminations violentes contre les intrus. C’est là qu’on apprit par la suite que les enfants des Cerqueux « jetaient des pierres » au curé conventionnel Duret.
Toutefois, les mesures prises par la convention accroissent chaque jour un peu plus le danger pour les prêtres réfractaires. Le 27 mai 1792 la législative décrète que tout prêtre insermenté, dénoncé par vingt citoyens actifs serait proscrit.
Le 26 août, un décret bannit les réfractaires qui pourront choisir leur lieu d’exil. Les prêtres infirmes ou âgés de plus de soixante ans peuvent rester en France, rassemblés dans les chefs-lieux de département et sous la surveillance de la municipalité. Tous les membres du clergé qui n’avaient pas prêté le serment à la Constitution civile peuvent être arrêtés sur une simple dénonciation. Les prêtres réfractés doivent « sortir du royaume sous le délai de quinze jours ».
Le curé Rabier décide donc de quitter la France et de s’embarquer pour l’Espagne, comme un peu plus de 6 500 de ses confrères. Le 3 octobre 1792, à onze heures et demie du matin, il embarque aux Sables-d’Olonne sur le chasse-marée Le Mandé, commandé par Jean-François Ravoud [9]. Ce dernier déclare « avoir embarqué à son bord, pour conduire à Saint-Sébastien en Espagne, ou dans tout autre port de ce royaume, le nombre de huit prêtres insermentés » :
Arrivés en Espagne, les prêtres français furent d’abord bien reçus. Puis ils furent obligés de prêter un serment de fidélité au roi d’Espagne, assorti de l’obligation de « ne pas parler de ce qui se passe dans leur pays ». Une directive, en date du 2 novembre 1792, organise leur « confinement dans les couvents, leur interdit le logement chez des particuliers, ainsi que toute activité de prêche, de confession et d’enseignement ». Relégués au fond des couvents, séparés les uns des autres, ils souffrirent beaucoup moralement et physiquement. Dispersés aux quatre coins du royaume, sans possibilité de s’entraider, ils endurèrent les pires privations dans l’impossibilité où ils étaient de se concerter où de s’entraider.
Parmi les neuf prêtres embarqués sur Le Mandé, trois au moins revinrent ; le curé Brillanceau qui dès son retour en septembre 1801 reprit sa cure de Pouzauges, le curé Camus qui fut affecté aux Chatelliers en Vendée ainsi que le curé Boissard, prieur de Voultegon. M. Antoine-Michel Boissard, dernier prieur de Voultegon, avait été principal du collège de Thouars avant 1765. Déporté en Espagne, il fut affecté en résidence à Falcès, dans la province de Navarre. Il revint de son exil au mois de juillet 1802 ; son premier acte après dix ans d’éloignement est du 14 juillet 1802. Il le signe encore prieur-curé de Voultegon. M. Boissard mourut le 17 mars 1803, âgé de 76 ans. On sait aussi que le curé Bichon décéda en Espagne. C’est certainement aussi ce qui est arrivé au curé Rabier dont on est resté définitivement sans nouvelle.
Les événements que l’on appela par la suite la guerre de Vendée débutèrent en mars 1793. Nombreux étaient encore dans le pays, à l’exemple du vicaire Chabiran, les prêtres réfractaires qui ne souhaitaient pas émigrer et continuaient à officier clandestinement alors que les curés constitutionnels comme le curé Duret voyaient leurs offices et sacrements désertés. Ainsi, à la Cantinière par exemple, était caché le curé Huet, ancien vicaire de Notre-Dame de Cholet. Il signe des actes de baptême en janvier 1794 sur les registres des Aubiers. Il en signe aussi à Saint Aubin de Baubigné en avril 1794.
Pendant la durée des hostilités militaires la paroisse des Cerqueux n’eut que peu à souffrir des évènements, ceux-ci se déroulant essentiellement en périphérie du territoire que l’on nommera la Vendée Militaire. Toutefois le retour de Stofflet et La Rochejaquelein de la campagne outre-Loire et la création des colonnes infernales par Turreau allaient bouleverser cette relative quiétude.
Apprenant que Charette est à Maulévrier, La Rochejaquelein l’y rejoint le 21 décembre 1793. Mais l’entrevue est un échec, et les deux chefs se séparent. Néanmoins, les 600 à 900 Angevins et Haut-Poitevins qui avaient rallié Charette l’abandonnent aussitôt pour se joindre à La Rochejaquelein. Cependant la petite troupe est battue et dispersée dès le 1er janvier 1794 aux Cerqueux, par les troupes du général Grignon.
Le 4 janvier 1794, le général Commaire écrivait au ministre de la guerre : « Le général Grignon vient de battre complètement cinq à six cents hommes formant le rassemblement de La Rochejaquelein ».
De son côté, voici ce qu’en dit Pierre Devaud [10] dans ses mémoires :
« Le Marquis de La Rochejaquelein et Monsieur Stofflet ont fait un rassemblement dans les Bois de Boissière. Ils vinrent aux Cerqueux et nous les rejoignîmes. Les Bleus sont venus nous attaquer et nous les avons battus aux Cerqueux le 31 décembre 1793. Mais le lendemain, les Bleus sont venus de Bressuire et d’Argenton nous attaquer le 1er janvier 1794. Ils nous ont battus et mis le feu au bourg des Cerqueux et aux environs.Ils ont mis le feu à Boisdon et j’ai perdu tous nos effets. Ce jour-là, j’ai perdu une valeur de 8 000 francs d’argent. Les Bleus sont retournés chez eux et notre armée s’est dispersée. Moi, j’ai pris la fuite des Cerqueux par Boisdon, Le Plessis, La Sévrie, L’Augerie, La Roche-Bouju et de là au bois de Boissière. Du Bois de Boissière, je suis revenu à Boisdon. »
Ce jour-là le bourg des Cerqueux brûla presque complètement, église et presbytère compris. L’incendie fit au moins une victime : Joseph Brebion, époux de Jeanne Maischin. On dira de son fils Joseph, né le 15 août 1790 aux Cerqueux : « Avait perdu son père le 1er janvier1794 dans une affaire qui eut lieu aux Cerqueux ; ensuite le feu ayant été mis à la maison, consuma absolument tout ce qui s’y trouva et laissa un enfant de 3 ans 6 mois à la merci de tous ceux qui voulurent le ramasser »
Les Mauges et les environs de Châtillon ressemblaient alors à un désert. Soixante mille personnes avaient péri dans la guerre, cent mille avaient passé la Loire. On traversait des villages, des bourgs, dont les maisons avaient été abandonnées, les portes ouvertes et les toits souvent brûlés.
L’église et le presbytère seront de nouveau incendiés le 14 mars 1794, comme la plupart des maisons du bourg et les villages environnants, par la colonne infernale de Grignon, venant des Aubiers et se dirigeant vers la forêt de Vezins. C’est ce jour là que fût incendiée la chapelle de la Grande-Troche ainsi que les maisons du village. Voici à nouveau ce qu’en écrit Pierre Devaud :
« Les Bleus sont venus de Bressuire au fief des Oulleries. Nous sommes allés à La Robardière puis au Puy-Aubrain où nous avons couché. Les Bleus étaient à la Sévrie, à La Tréveillère et aux Oulleries. Le lendemain, 12 mars, les Bleus sont venus par les Saulaies et ont mis le feu à Boisdon. Ils ont fait brûler la paille, le foin et la grange et ont pris la route de la forêt de Vezins. Ils ont fait un grand massacre dans cette forêt. Et nous, du Puy-Aubrain, nous sommes allés à la Coussais. J’ai passé cette journée sans joie. De La Coussais, je suis retourné le soir par La Troche. Je suis retourné coucher au logis et de là à Boisdon. »
Ce jour-là 14 mars, Marie Supiot, femme de Laurent Sevestre, fut massacrée avec ses deux enfants à La Sévrie, parmi 14 personnes dont on ignore l’identité. Aux Aubiers et surtout à Puy-Louet ce même jour [11], 43 personnes furent tuées par la même colonne de Grignon.
Voici le parcours de la colonne de Grignon tel qu’il le décrit lui-même [12] :
« Depuis que j’ai quitté Argenton, j’ai continuellement été à la poursuite des brigands [les Vendéens]. Le 14 [mars], j’ai fait brûler Bressuire et les environs. Instruit que les brigands faisaient un rassemblement à Nueil et aux Aubiers, je m’y suis porté ; mais ils s’étaient repliés sur Maulévrier. Je comptais les attaquer à Maulévrier à la pointe du jour ; mais ils décampèrent à minuit pour se réfugier dans la forêt de Vezins où je les ai attaqués […] Je les ai fait charger par ma colonne qui les a mis en déroute. Ils pouvaient être au nombre de 4 à 5.000, tant hommes que femmes, très mal armés. »
Pour terminer sur ce sujet des incendies du bourg des Cerqueux, voici comment Pierre Devaud les résume dans ses notes personnelles :
« A Boisdon, pendant la guerre, nous avons brûlé 3 fois. Savoir le 1er janvier 1794, les maisons brûlèrent et le 14 mars, la grange et les paillers ont brûlé. Après, il a fallu que les bêtes vivent sans foin ni paille. Elles ont vécu avec du vert et ce qu’elles ont pu attraper dehors. Et le 18 mars 1794, le fournil et la chaume a brûlé et le restant du linge, les lits et couettes ont brûlé. »
Voici donc la situation telle qu’elle se présentait aux Cerqueux en ce printemps 1794 : L’église et le presbytère brûlés comme une grande partie des maisons du bourg et des métairies environnantes, des prêtres disparus ou, au mieux se cachant et ne sortant que très peu de leurs cachettes, et, plus grave encore, plus d’une cinquantaine de morts [13], victimes des combats ou des troupes révolutionnaires auxquels s’ajouteront tous les habitants partis sous d’autres cieux pour fuir les combats [14]. La désolation s’étendait partout.
Au niveau religieux, des mesures de déchristianisation se poursuivent en France en 1793 et 1794, avec la fermeture des églises au culte du 31 mai 1793 jusque vers novembre 1794. Les prêtres réfractaires, comme les prêtres constitutionnels (ou assermentés, ou jureurs), confondus avec les autres à cette période, sont l’objet d’une sévère répression, notamment sous la Terreur.
La séparation de l’Église et de l’État est votée le 21 février 1795. Il n’y a plus de clergé officiel et l’État est complètement laïcisé.
A ce sujet, en 1795, Pierre Devaud rédige une note curieuse : « L’an 1795, Jean Devaud s’est marié à La Mousserie des Cerqueux avec Perrine Bénéteau et Jean Devaud avait de mariage 900 livres d’argent et 2 000 livres d’assignats. »
Ce mariage de son frère, qui a lieu à La Mousserie, signifie t’il qu’il a été célébré là-bas par un prêtre réfractaire, l’église étant fermée ?
Avec l’arrivée de Bonaparte, le culte catholique se relèvera tant bien que mal.
Voir à ce sujet : « Un schisme sous l’Empire«
Cette période de troubles révolutionnaires et religieux, qui a duré plus de 15 ans, se termina avec l’Empire Napoléonien. Et, comme après chaque guerre, il fut nécessaire de reconstruire, particulièrement les édifices religieux, en Vendée et dans les Mauges. Napoléon octroie, en 1808, des subventions réparties entre presbytères et églises afin qu’ils bénéficient de travaux de réparations et de restauration. Ce fût le cas pour l’église des Cerqueux. L’église et le presbytère furent une première fois sommairement restaurés en 1808 grâce aux subventions Napoléoniennes.
Je glisse ici une anecdote concernant le bâtiment proche de l’église, abritant actuellement la mairie. On le nomme communément « Le Logis » mais il faut savoir que jusqu’au XVIIIème siècle ce manoir était propriété des Seigneurs de La Sévrie et était appelé en conséquence « La Petite Sévrie ». Vendu comme bien national en 1790, en même temps que le château de La Sévrie[15], il fut à nouveau remis en vente en 1802, certainement fort abîmé par les incendies de 1794.