Texte quasi intégral du rapport présenté par le Docteur Atgier, lauréat de la Société d’anthropologie de Paris, dans le bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Beaux-Arts de Cholet et de l’arrondissement, à la fin du XIXème siècle.

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Les croquis font partie de l’article, les notes sont du webmaster

C’est aux environs des sources de la Moine, aux Cerqueux de Maulévrier, que commencèrent, au mois d’avril 1880, nos excursions archéologiques de l’arrondissement de Cholet.

La population de ce bourg [1] se compose exclusivement de cultivateurs. Ceux à qui je m’adressai ne purent me donner aucun renseignement sur ce que je recherchais. Heureusement, j’eus l’avantage de rencontrer le curé de la Paroisse [2] dont la complaisance me fut d’un grand secours.

Je m’empressai de lui demander s’il existait, dans le pays, des restes d’anciens monuments dits « druidiques ».

« Des monuments Druidiques ? me dit-il. Il y a bien des années que je suis dans la paroisse, mais je n’en connais point pour ma part et je n’ai jamais entendu dire qu’il y en eut. »

Je posai alors les questions suivantes :

« Existe-t-il dans les champs quelque grosse pierre en forme de table, debout ou renversée, ou d’énormes rochers arrondis et usés par le temps, attenant au sol, isolés ou éparpillés sur la terre, avec ou sans ordre ? »

« Nous avons bien de gros « chirons », me répondit-il, couverts de lierre et de mousse, entourés de chênes, mais personne n’y a jamais attaché la moindre importance. »

Quand j’eus dis que je souhaitais précisément voir ces roches, l’excellent curé me proposa de suite de m’y conduire lui-même, disant qu’il s’en ferait un véritable plaisir. J’acceptai volontiers et nous partîmes.

Chemin faisant, dans la direction de la ferme de la foucherie, je vis, dans un champ situé sur la droite de la route, un bloc de granit pouvant avoir un mètre carré, usé par le temps, aux contours arrondis et supportant un autre bloc de dimensions à peu près égales.

A côté se trouve un chêne et, de l’autre côté de cet arbre, un autre bloc moins gros et irrégulièrement conique.

Voici, me dit le prêtre, ce que l’on nomme ici « la Pierre Levée ».

Je ne reconnus dans ce monument, évidemment ancien, aucun des types déjà connus.

fig1Etait-ce une pierre à laquelle on pouvait donner jadis un mouvement de rotation sur son piédestal et qui mérite le nom de « pierre Tournisse », expression employée dans le pays ?

Etait-ce un ancien menhir brisé en trois fragments par la foudre et dont le sommet aurait été renversé à terre ? Cette dernière hypothèse me parut la plus vraisemblable, à cause du nom de « pierre Levée » que porte encore ce monument et que l’on donne au menhir dans le pays. Toujours est-il que sa forme primitive a dû très probablement être modifiée.

Ce qui me confirma dans cette opinion, c’est qu’à l’autre angle de ce grand champ à peu près carré, et non loin de là, je vis un amas de blocs granitiques éparpillés sur une éminence de terre. Or, le menhir est le satellite fréquent des sépultures préhistoriques.

Au troisième angle, en avançant sur la route, je vis un énorme rocher noirci, grossièrement arrondi et attenant au sol. Sur un de ses côtés se trouvent quelques marches usées, jadis taillées dans la pierre et permettant de monter au sommet qui a près de trois mètres de hauteur et six de longueur.

Au premier abord, ce monument, contemporain du premier assurément, semble formé fig2par deux rochers réunis l’un à l’autre. Mais un examen attentif permet de constater que cette apparence est due à une rigole profonde qui, s’étendant du somment aux deux faces latérales et descendant jusqu’au sol, semble partager le rocher unique en deux moitiés à peu près égales. 

Cette rigole, ces marches, ne sont pas un effet du hasard, car nous les retrouverons encore. Mais elles nous fournissent déjà une preuve de l’authenticité et de l’antiquité de ce monument mégalithique.

Au quatrième angle du champ, je vis enfin un ensemble de roches juxtaposées, portant aussi des rigoles, et, de plus, des bassins, dont un, plus grand que les autres, aux bords insensiblement évasés et pouvant contenir dix litres d’eau environ.

Le sommet de ces rochers peu élevés au-dessus du sol et s’en écartant en pente douce, est facilement accessible….

J’ai une grande tendance à voir, dans cet ensemble de mégalithes, des monuments sacrés où s’exerçaient certains rites d’un culte antique qui considérait l’eau du ciel, tombée directement dans ces bassins, comme une eau salutaire, bénite, lustrale, servant aux ablutions.

Je fus étonné de rencontrer dans ce champ des monuments aussi isolés aux quatre angles, mais j’appris que beaucoup d’autres blocs granitiques s’y trouvaient primitivement, et qu’ils avaient été exploités et débités pour empierrer les routes environnantes.

Ce renseignement me fut donné par un cantonnier qui cassait en ce moment des mégalithes auprès de ces roches à bassins, après les avoir fait sauter au moyen de la mine.

« Ne vous étonnez pas de cela, me dit-il, car nous n’attachons ici aucune importance à ces pierres, si ce n’est de les trouver gênantes pour le laboureur et de les voir occuper dans les champs une place préjudiciable à l’agriculture. C’est pour cela qu’on en a exploité un grand nombre lors de la construction de la voie ferrée de Maulévrier »

FIG3

… En examinant les bassins de ces pierres, je trouvai dans l’un d’eux, après avoir enlevé la terre et la mousse qui le remplissaient à demi, deux couteaux en silex taillé, fort bien conservés. L’un de ces instruments, très fin, est en silex noir ; l’autre, un plus gros, au tranchant émoussé, est en silex jaune…

En poursuivant plus loin, nous arrivâmes à la ferme de la Foucherie, située sur l’autre côté de la même route. Là se trouvent dans un champ d’autres mégalithes formant un chromlech fort bien conservé, composé d’un monument central et d’une enceinte circulaire. L’enceinte se compose de sept pierres restées debout, la plus grande peut avoir deux mètres de hauteur.

Au centre de ce cercle de pierre ou chromlech (chrom, cercle et lech, pierre) s’élève un monument formé de quatre pierres énormes ayant trois ou quatre mètres de hauteur. Il me fallut arracher la mousse qui les recouvrait et qui reposait sur une couche de vieuxfig4 troncs de lierre que je dus couper pour voir à nu la pierre principale. Je remarquai d’abord une rigole de la largeur du bras et d’une profondeur de dix centimètres divisant en deux parties inégales la face supérieure de cet énorme bloc de beau granit, et se continuant sur une de ses faces latérales jusqu’à terre. 

La face supérieure porte aussi à côté de la rigole deux autres empreintes : l’une est une cuvette piriforme, l’autre est une empreinte de pas très bien marquée et creusée de manière à pouvoir contenir un pied d’homme. Leur profondeur est la même que celle de la rigole.

J’avais sous les yeux, à n’en pas douter, la pierre sacrée du cromlech, imposante par sa taille, sa hauteur et par l’épaisseur de mousse et de lierre qui la recouvrait depuis un temps incalculable. 

J’avais trouvé, dans ce chromlech, une de ces antiques et primitives enceintes où s’assemblaient nos ancêtres pour y accomplir leurs coutumes à la fois religieuses et barbares.

Après le Chromlech de la Foucherie, je vis plus loin, dans un champ voisin, qui fait partie de la Petite Troche (sans doute corruption de Petite-Roche), une enceinte de pierres analogues à la première.

fig5Elle se compose d’un monument central composé de six pierres colossales debout et adossées les unes aux autres, de telle sorte qu’elles se maintiennent mutuellement en équilibre.

L’enceinte est irrégulière, interrompue, composée de plus petits monuments, les uns monolithes, les autres polylithes et occupant des positions plus ou moins concentriques, sans ordre aucun.

En réfléchissant alors à l’étymologie du mot « Cerqueux », je pensai qu’il a dû être au bourg ainsi nommé, à cause de la présence de ces nombreux cirques, chromlechs ou enceintes de pierres, le mot latin « circus » signifiant une enceinte primitivement circulaire où avaient lieu des jeux, des sacrifices ou des rites sacrés. Le mot « Cerqueux » serait, par ce fait, un vieux mot gallo-romain dérivé du latin « circus », cercle et synonyme de chromlech, mot moderne formé des racines celtiques (chrom, cercle et lech, pierre sacrée)

Le monument central possède lui aussi sa pierre sacrée, c’est la plus grande des six qui la composent et la plus élevée, mais ce qui la distingue surtout ce sont les empreintes qu’elle montre à ses faces supérieures et postérieures.

Après la Petite-Troche, je passai dans un des champs de la Grande Minaie [3] où je vis une enceinte analogue à la précédente. Cette enceinte est aujourd’hui incomplète et irrégulière. 

Je n’ai relevé qu’un seul des monuments de l’enceinte incomplète de la Grande-Minaie,fig8 et, bien qu’il soit fort simple, il est très intéressant au niveau de la relation qui existe entre ces mégalithes et les coutumes druidiques. Il se compose de trois pierres debout et juxtaposées, pouvant avoir deux mètres de hauteur. La pierre principale est plus grosse et un peu plus élevée que les deux autres. Elle porte à sa face supérieure trois cupules de dix à douze centimètres de largeur et de sept à huit centimètres de profondeur.

La petite bourgade actuelle des Cerqueux de Maulévrier, où l’arrivée d’un étranger est aujourd’hui un événement, où le paisible laboureur n’entend d’autre bruit que celui de la cloche qui tinte l’Angélus et qui l’appelle le dimanche à ses rites religieux[4], cette petite bourgade aurait donc eu jadis, bien loin dans les siècles, ses jours de splendeur et aurait été à la fois un centre religieux, juridique et militaire.

Une enceinte de pierres nous reste encore à visiter. Je n’ai pu savoir le nom du champ où elle se trouve, mais comme la ferme voisine se nomme la Gannerie, je lui ai donné ce nom.

fig10Ici encore, nous trouvons une enceinte irrégulière et incomplète. Il ne faut pas s’en étonner : plusieurs de ces champs sont labourés et pour avoir plus de surface productive, les fermiers ont dû, à différentes époques, retirer de leurs champs les pierres qui les gênaient le plus.

Au centre de l’enceinte se trouve un ensemble de rocs énormes, d’un beau granit bleu, arrondis et sans angles saillants. Plusieurs de ces blocs sont renversés, d’autres debout. La pierre centrale, de forme ovale, porte elle aussi des empreintes de rigoles et cupules. 

Un deuxième monument de l’enceinte est des plus curieux à examiner. L’ensemble se fig12compose de trois blocs supportant un quatrième. Les trois premiers paraissent attenants au sol, de la hauteur d’un homme et d’environ un mètre de largeur. Ils servent de support au bloc le plus gros des quatre, lequel peut avoir environ un mètre et demi de hauteur et autant de largeur. Sa forme est celle d’un tronc de cône renversé. Il s’agit, selon nous, d’un « trépied mégalithique », objet qui fut d’un usage permanent dans les religions antiques.

D’après cette étude, je le répète, l’antiquité des mégalithes est très reculée, puisque nous l’attribuons aux Celtes et que la première immigration celtique en Gaule qui soit connue remonte au XVIème siècle avant notre ère. Le paléodruidisme a ainsi duré chez nous jusqu’au Vème siècle avant J.-C.

A cette époque, l’arrivée des Gaulois importe chez nous le néodruidisme  qui dura jusqu’aux premiers siècles de notre ère, c’est à dire jusqu’à l’introduction du paganisme d’abord, du christianisme ensuite.

[1] Les Cerqueux
[2] Curé G. Chauvin de novembre 1874 à avril 1885
[3] Nom d’un champ du village de la Grande Foucherie
[4] Nous sommes au XIXème siècle, en 1880.

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