Quand on parle de la première guerre mondiale, on pense souvent et en premier lieu aux soldats, aux batailles, aux armes, aux tranchées… mais bien moins aux femmes restées en arrière. Alors que, derrière chaque soldat se cache une femme désormais seule, qui doit faire face à l’absence et aux responsabilités supplémentaires.
La France de cette époque est une France essentiellement rurale et la commune des Cerqueux n’échappe pas à la règle. Au niveau du pays, ce sont quelques 3 700 000 agriculteurs qui partent et laissent derrière eux 3 238 000 femmes et 1 500 000 hommes, jeunes ou vieux. Avec la guerre le quotidien des françaises est fortement bouleversé. Après le départ au front des hommes, elles vivent dans la crainte de perdre un être qui leur est cher (époux, fils, père…). Elles sont confrontées à des difficultés matérielles et doivent s’impliquer dans certaines tâches auparavant réservées aux hommes. Elles doivent maintenir l’activité de leur ferme, terminer les récoltes[1] et préparer les récoltes à venir. De plus, elles doivent maintenant assurer la production nécessaire à l’alimentation du front et de l’arrière. 
C’est pour cette raison que le 7 août 1914, le Président du Conseil René Viviani, qui songe à une guerre courte, lance un appel aux femmes françaises, en fait aux paysannes, les seules dont il pense avoir un besoin urgent dans les campagnes désertées par les hommes.
 Il leur parle le langage viril de la mobilisation et de la gloire :
« Debout, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie. Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille.
Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées,     les champs ensemencés ! Il n’y a pas, dans ces heures graves, de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays. Debout ! A l’action ! A l’œuvre ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde ».
Les femmes ont également un rôle essentiel au sein du noyau familial désormais éclaté. L’éducation des enfants est à leur seule charge, et elles doivent également faire en sorte de subvenir aux besoins de leur famille, malgré les rationnements et les pénuries.
Les femmes remplaçantes se livrent à de multiples tâches agricoles : elles sèment, elles fauchent le blé, elles labourent les champs… Les nouvelles responsabilités qui reviennent à la femme sont importantes. Quelques femmes sont aptes car elles travaillaient aux côtés de leur mari, mais la plupart sont inexpérimentées face aux charges nouvelles et conséquentes. Décider des productions, diriger la main d’œuvre, vendre : lourdes responsabilités auxquelles elles étaient peu préparées.
En plus d’autres avatars, en mars 1915 les cours de la viande bovine explosent. A cela deux raisons. D’abord l’augmentation de la ration de viande quotidienne du soldat et d’autre part la chute des effectifs des animaux gras en raison même des effets des réquisitions des bêtes de trait et des bêtes pour la récupération du cuir. Ce qui va conduire à abattre des animaux de plus en plus jeunes à mesure que les années de guerre passent.
La deuxième année de la guerre a vu les productions rurales s’effondrer en raison notamment de l’incorporation des jeunes hommes des classes 16 et 17 et de quelques hommes du service auxiliaire. On ne trouvait plus aux Cerqueux de journaliers et de domestiques pour les fermes. Il faut bien penser qu’en 1915 le travail des fermes est en partie fondé  sur la domesticité journalière et sur les ouvriers agricoles « gagés » à l’année.
Le salaire des journaliers et des domestiques explose. En raison  de la pénurie de bras il y a à partir de 1915 une inflation des salaires. C’est ainsi que le salaire d’un journalier est de 8 francs par jour plus la nourriture. Pour un domestique engagé à l’année, le salaire est de 150 francs par mois, (soit 1 800 francs par an)[2] plus la nourriture et le coucher. Un soldat des Cerqueux, dont l’épouse cherche désespérément à embaucher un ouvrier agricole, qualifie ces salaires d’ »épouvantables »[3]
Les courriers échangés, que j’ai pu consulter,  entre les soldats des Cerqueux et leurs familles font toujours état des mêmes préoccupations concernant leurs fermes : l’avancement des semis, le rendement des récoltes, le prix des bovins, du blé… De même ils essaient, à la mesure de leurs moyens, d’obtenir des permissions aux moments cruciaux de la vie de leur exploitation (labours, semis, foin, battages…)
Mais il semble que les battages, par exemple, aient perdu les joies d’antan.

« On n’entend pas ces éclats de rire ou ces cris enjoués des années passées. Nombre de femmes sont là,  à faire passer des gerbes sur la plate-forme de la batteuse ou à manier la fourche pour entasser la paille à la place de leur mari absent. Des gamins ou des vieillards que l’on ne voyait pas sur ce type de chantier tiennent la place occupée auparavant par des hommes vigoureux. »

C’est bien la population paysanne des régions essentiellement rurales (l’ouest de la France, le centre, le Limousin) qui a  fourni l’essentiel des combattants de l’infanterie, les plus touchés par les pertes au front.
Arrières petits fils des insurgés de 1793, catholiques et parfois royalistes, les soldats vendéens et bretons faisaient l’objet de craintes. Pourtant leur ardeur patriotique fut sans faille et ils se comportèrent vaillamment jusqu’à la fin de la guerre. Très bonnes troupes, le haut commandement les envoya dans les plus mauvais coups de cette guerre qui n’en comportait pas de bons. Il est avéré que la Bretagne et la Vendée, et l’ouest en général, ont payé un plus lourd tribut que la moyenne nationale.
Ceci est à l’origine de la rumeur selon laquelle les autorités militaires auraient fait desecusson sacre coeur vendéens et des bretons de la chair à canon privilégiée, notamment à cause de leurs sentiments royalistes. Même si ce n’est pas à exclure, Il est plus vraisemblable que le haut commandement, reconnaissant leur valeur, s’en soit servi comme de régiments d’élite. 
On doit signaler ici un signe typiquement vendéen. De nombreux soldats de cette région arborent en effet un sacré cœur sur la poitrine, voire sur le képi à la place de l’écusson. Voici un sacré cœur issu de broderies mécaniques et diffusé à des milliers d’exemplaires.
Georges Clémenceau, républicain vendéen, dira après la guerre dans sa retraite de Mouilleron-en-Pareds: 

« Les paysans de 93 ont pris les armes parce qu’ils ne voulaient pas être soldats ! C’est à dire qu’il faut voir les gens comme ils sont et les replacer dans leur temps. Qu’est-ce que ça pouvait bien être le Rhin, pour un paysan de Mouchamps ou d’ailleurs, en 1793 ? Qu’est-ce que ça pouvait être même que la France ? Qui leur avait parlé de ça ? Ils avaient leur crucifix et leur chapelet qui répondait à tout. Un beau jour on vient leur dire: « C’est pas tout ça, on va aller apprendre la liberté à nos frères de Prusse et d’Italie. Merci bien, ont ils répondu, allez y vous mêmes, si cela vous fait plaisir ». Quand ces gens là ont compris ce qu’était la patrie, on a vu ce qu’ils étaient capable de faire. Il n’y a pas eu de meilleurs soldats ».

En 1918, quand sonne la fin de la guerre, on dénombre chez les paysans 700.000 morts et environ 500.000 mutilés et blessés. 1/4 des actifs agricoles sont morts ou sont invalides. C’est la proportion que l’on retrouve encore amplifiée aux Cerqueux.

Rue des Cerqueux avant 1914

Sur cette photo, qui date de cette époque, on retrouve les proportions de population pouvant exister aux Cerqueux pendant la guerre : 17 femmes, une vingtaine d’enfants et seulement 5 hommes dont un militaire en uniforme.
[1] A l’été 1914, le déclenchement de la guerre a lieu en pleine période de moissons.
[2] En 1916, un obus de 75 coûte 60 francs ; Ainsi, le salaire annuel d’un ouvrier agricole correspond au coût d’1/4 heure de tirs d’une batterie de 3 canons.
[3] Environ 500 € d’aujourd’hui, plus la nourriture et le loyer.