Il y avait grand soleil ce matin du Jeudi 14 Mai 1856, lorsque René Veillon, Président de la cour d’Assises d’Angers, demanda au prévenu Joseph Gourdon, inculpé pour homicide suivi de vol, de décliner ses date et lieu de naissance.
 « Je suis né aux Cerqueux de Maulévrier en Mars 1828 ou 1829 », répondit ce dernier.
Le flou de cette réponse ne sembla pas émouvoir le Président et les jurés de la cour d’Assises.
Mais revenons quelques années en arrière …
Le père de Joseph Gourdon, Jacques, naquit au May sur Evre en 1792, tandis que sa mère, Renée Naud, était née à Saint Macaire en Mauges en 1789.
Après leur mariage, vers 1813, ils s’installèrent à Vezins où Jacques Gourdon exerça la profession de journalier, louant ses bras dans les différentes fermes de la commune. Le couple y eut quatre enfants, Jacques en 1814, Pierre en 1816, René en 1818 et Marie-Renée en 1821.
On retrouve ensuite les traces de la famille lors de la naissance de Victoire Henriette, déclarée née aux Cerqueux de Maulévrier en 1831 suivie de Elaine, Véronique en 1833. Les parents sont alors journaliers aux Poizats.
Deux garçons manquent pourtant sur les registres. Pierre-Jean, déclaré né aux Cerqueux en 1826 par une délibération du juge de paix de Cholet de 1855. Et Joseph… qui ne sait pas s’il est né en 1828 ou 1829.
Vers l’âge  de 13 ans, ses parents décidant de quitter les Poizats pour aller habiter Cholet, Joseph les quitta pour suivre un apprentissage de «tueur de cochons», nous dirions aujourd’hui Charcutier. On le retrouve quelques années plus tard, habitant Chemillé et installé comme tueur de cochons, rayonnant sur tous le Choletais et les Mauges. En ce milieu du XIXème siècle, la mise à mort du cochon était un des grands moments de la vie familiale et des villages ruraux.
1850_le_depecage_de_porc_par_Louis_Humbert_de_Molard_1847_1898Le tueur opérait de bon matin, de préférence par une journée sèche et froide. La mise à mort était réalisée par un spécialiste des environs, tel Joseph Gourdon ; certains d’entre eux étaient renommés pour leur tour de main et pour la qualité des préparations qu’ils fabriquaient. Les hommes de la ferme préparaient une grande chaudière d’eau bouillante et une grande table, alors que les femmes monopolisaient les récipients, les torchons, le sel et les épices. Le goret était égorgé d’un coup de couteau coupant la carotide. Tenu par les hommes les plus costauds l’animal poussait des cris perçants qui ne cessaient qu’avec sa mort. Le sang était précieusement recueilli dans une terrine et brassé pour éviter la coagulation, puis le porc était nettoyé, découpé et les cochonnailles (boudin, saucisses, saucissons, jambons, noix, etc.) préparées.
A propos du meurtre commis par Joseph Gourdon, voici ce qu’écrit le journal des débats politiques et littéraires du 3 Décembre 1855 :
Un crime a été commis le 25 novembre, au pont de la Liaudière, vis-à-vis du bourg de Mazières, à quatre ou cinq kilomètres de Cholet.
Le nommé Jean Geindreau, 55 ans, fermier à La Tartière, commune de la Tessoualle, revenant, entre onze heures et minuit, du marché de Cholet, y a été frappé de quatorze coups de couteau.
L’assassin serait un individu qui aurait abordé Gindron en chemin, et dont celui-ci aurait fait imprudemment son compagnon de route.
Il y avait cinq ramasseurs de choux dans le champ voisin du lieu où le crime a été consommé. Ils sont accourus aux cris de la victime, et l’assassin, n’ayant pas eu le temps de fouiller les poches du malheureux Gindron, s’est enfui avec l’agilité que donne l’épouvante, pour se réfugier dans un champ de choux, où il a pu se blottir et échapper aux regards de ceux qui cherchaient à l’atteindre.
Les médecins appelés à procéder à l’examen du corps de Gindron, ont remarqué que les coups paraissent avoir été portés par une main habile vers la gorge, où ils tendent tous sans exception. On suppose cependant que la victime s’était défendue de son mieux, le quatorzième coup seul a dû couper la jugulaire opiniâtrement ajustée …
VICTIMEJoseph Gourdon fût arrêté dès le lendemain et inculpé d’homicide volontaire et de vol domestique.
Traduit en Justice, Joseph Gourdon fut condamné le 14 Mai 1856, par la Cour d’Assises du Maine et Loire, aux travaux forcés à perpétuité. Le tribunal le décrit comme étant illettré, mesurant 1m68 et fortement charpenté. C’est ce jour-là (cf plus haut), qu’il déclara être né aux Cerqueux en 1828 ou 1829.Capture
Il arrive au Bagne de Brest le 2 Juin  et est embarqué sur le bateau l’Africaine [1] le 24 Octobre 1856 à destination de la Guyane. Après 6 semaines de traversée, il arrive en Guyane le 3 Décembre 1856 et est incarcéré au Bagne de Saint Laurent du Maroni.
Il arrive au bagne à une époque où marier les détenus entre eux était une des préoccupations de l’administration pénitentiaire. Le premier mariage a lieu le 23 octobre 1859.
L’organisation des mariages était tout un cérémonial. Les présentations des postulants aux mariages, avaient lieu le jeudi, et se déroulaient sous la surveillance de religieuses. Les hommes, à tour de rôle, font leur choix, comme dans un marché à bestiaux. Des surveillants interviennent à la demande des religieuses, lorsque les présentations dépassent les limites autorisées de la convenance.[2]
Joseph Gourdon fit partie des bagnards qui souhaitèrent se marier en cette année 1859. Il porta son dévolu sur Flavie Monnier, née en 1836 près de Beauvais dans l’Oise et emprisonnée à perpétuité au bagne de Guyane pour infanticide. Pour contracter ce mariage, Joseph Gourdon eut besoin d’un extrait d’acte de naissance qui fut naturellement demandé aux Cerqueux, au vu de ses déclarations à la cour d’Assises.
Le 20 septembre 1859, le Maire des Cerqueux[3] écrit au ministre des colonies que Joseph Gourdon ne figure pas sur l’état-civil de la commune. Il lui indique toutefois qu’il a retrouvé la trace de son  baptême et qu’il est né au Pas-Chaillou de Saint Aubin, village limitrophe des Cerqueux.
Le 20 novembre 1859, le Maire de Saint Aubin adresse au ministère des colonies un courrier précisant tout d’abord qu’il n’a aucun acte de naissance au nom de Joseph Gourdon mais que le tribunal de Bressuire vient de lui transmettre un jugement valant acte de naissance.

Naiss. St Aubin 1818-1835 Page 109

Le 1er décembre 1859, le Préfet de Maine et Loire fait savoir au ministre des colonies que le consentement au mariage de Joseph Gourdon par ses parents a été adressé directement par sa mère, veuve,[4] à ce même Joseph Gourdon.
Notre bagnard se marie donc avec Flavie Monnier le 1er août 1860. De cette union naîtront 3 enfants : Joséphine, née en 1862; Aimé, né en 1864 et Louis, né en 1867. Les 2 garçons décéderont en 1874 à 7 et 10 ans, très jeunes, comme la majorité des enfants issus de ces unions, sous ces latitudes. Joséphine, quand à elle, épousa François Louchard, un bagnard parisien, condamné à 7 ans, pour faux en écritures. Elle décèdera en Guyane à 21 ans, en 1883.
Employé au bagne comme journalier, il semble que Joseph Gourdon ait été un détenu modèle car sa peine de perpétuité fut commuée en 20 ans de travaux forcés en 1866 et il bénéficia d’une remise de  peine de 3 ans en 1874.
Il semble toutefois qu’il ait complètement oublié l’Anjou et sa famille durant ces années de bagne puisqu’en 1869 sa mère se crût obligée de faire une requête auprès du ministère des Colonies afin de savoir si son fils était toujours vivant.
Flavie Monnier, l’épouse de Joseph Gourdon, décéda en Guyane le 30 Décembre 1878 à l’age de 42 ans. Quand à Joseph Gourdon, il s’éteindra à Saint Laurent du Maroni le 25 Août 1882, âgé de 54 ans.
[1] L’Africaine est une frégate de 40 canons construite en 1839. A partir de 1855, elle a été affectée à Brest pour le transport de condamnées vers la Guyane. Elle est désarmée en 1872 à la Martinique.
[2] http://gmarchal.free.fr/Le%20Bagne%20de%20Guyane/Histoire%20du%20Bagne%20de%20Guyane.ht
[3] Jean Body, cultivateur à Daillon, était alors Maire
[4] Jacques Gourdon est décédé à Cholet le 25 Janvier 1859