Qui se doute alors des remous à venir et qui se souvient encore que ce conflit entre la municipalité des Cerqueux, le Sous-préfet et l’inspection primaire allait provoquer l’ire de Georges Clémenceau, futur Président du Conseil, alors éditorialiste à l’Homme Libre ? Voici le « papier » de Clémenceau que reprend le journal « L’attaque » du 27 octobre 1913.
LETTRE D’UNE INSTITUTRICE
De L’homme libre :
Nous voici en Maine et Loire, arrondissement de Cholet, confinant à la Vendée. Dans le village de Cerqueux de Maulévrier, dont le nom seul sent sa chouannerie, une jeune institutrice est installée, dont le père fut instituteur en mon village vendéen.[1] Voici ce que cette enfant écrit au maire, auprès de qui son père remplit autrefois les fonctions de secrétaire de mairie :
Cerqueux de Maulévrier, 13 octobre 1913
Monsieur le Maire,
C’est une institutrice dont le père fut longtemps votre secrétaire, qui se présente à vous en sollicitant votre bienveillant appui.
J’habite une commune réactionnaire du Maine et Loire, et je suis logée dans un taudis si affreux que je crains pour ma sécurité personnelle et celle de mes élèves.
Avec sa cour pleine de hautes herbes mouillées par les brouillards d’automne, ses plafonds et cheminées en partie écroulés, ses murs et ses carrelages suintants, l’école laïque offre, en ce moment, un aspect des plus lamentables. Depuis deux ans je fais d’incessantes réclamations à la municipalité [2], à l’inspection académique, à la Préfecture, sans jamais rien obtenir. Alors que le préfet de Maine et Loire autorise certaine municipalité (Saint Clément des Levées, près Saumur) à accorder une subvention à l’école libre, il ne fait pas effectuer d’office des réparations de première nécessité à une école publique.
Les quelques parents républicains qui ont eu le courage d’envoyer leurs enfants à mon école vont, pour ne pas laisser leurs enfants en péril, les envoyer à l’école libre pourvue de tout le confort moderne.
N’ayant personne pour soutenir mes droits et ne pouvant m’adresser au député de Cholet, j’ai pensé que votre haute bienveillance s’étendrait peut-être à l’humble institutrice qu’autrefois vous avez pu voir à La Réorthe.
Veuillez agréer, Monsieur, mes plus respectueuses salutations.
C. Naulet
Cette lettre ne fut pas écrite pour être publiée. Elle n’en a que plus de valeur puisque ce n’est, à aucun titre, une manifestation. Ayant vainement fait appel au maire de sa commune, à l’inspecteur d’académie et au préfet, quand la mauvaise volonté du maire fut constatée, la malheureuse institutrice, placée sous la haute tutelle de Mr Barthou [3], se voit laissée, sans une parole de réponse, dans le taudis malsain aux plafonds écroulés, dérisoirement qualifié d’école par notre très grand maitre de l’université. Point de recours. En désespoir de cause, elle s’adresse à celui dont les sentiments d’amitié lui sont connus, espérant que sa plainte pourra parvenir à l’oreille des grands. Je ne peux lui donner accès, par la voie du journal, qu’au public seulement.
Deux ans d’inutiles sollicitations pour obtenir que le bâtiment scolaire ne s’écroulât pas sur les élèves ! Le maire regarde pourrir son école, l’inspecteur d’académie, grand républicain comme celui de Langres, se demande, à l’exemple de son collègue, s’il ne serait pas contraire à la neutralité scolaire d’empêcher l’école de crouler, car cela pourrait amener des « contestations ». Le préfet, qui est un bon républicain également, a fini par lui faire une réponse, mais bizarre, puisque ce fut pour faire accorder une subvention à une école libre, rivale de l’école laïque. Moyennant quoi les élèves de l’école laïque des Cerqueux vont passer à l’école de la congrégation.
Pour achever le tableau, il faudrait qu’après une « enquête » de Mr Klotz [4], Mr Barthou révoquât la petite institutrice de Maine et Loire, ce serait complet.
G. Clémenceau
Dans L’homme libre du 12 novembre 1913, Georges Clémenceau évoque à nouveau le sujet en ces termes :
SUBVENTIONS AUX ECOLES LIBRES
L’Homme libre (M. G. Clémenceau)
On se souvient que Mlle Naulet reprocha au préfet d’avoir autorisé le conseil municipal de Saint Clément des levées près Saumur, à subventionner une école libre. L’administration préfectorale protesta énergiquement contre cette assertion. La loi du 30 octobre 1886 interdit, en effet, toute subvention municipale aux écoles privées. Mais la loi ne serait pas la loi, si les grands interprétateurs ne s’étaient réservés quelques moyens de la tourner.
En effet, le Conseil d’Etat s’est empressé de reconnaître aux Conseils municipaux le droit de voter un secours, soit en argent, soit en nature, aux élèves indigents des écoles privées. Le préfet allègue qu’il n’a fait que se conformer à ce principe qui aboutit à la violation manifeste de la loi. Mais tant que le Conseil d’Etat n’aura pas changé le sens des mots de la langue française, tous les gens de bon sens proclameront que l’institutrice des Cerqueux n’a fait que constater la vérité lorsqu’elle a dit que l’administration autorisait les subventions municipales a l’école privée.